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Procédures préventives et collectives : outils d’adaptation des modèles économiques à la crise

Procédures préventives et collectives : outils d’adaptation des modèles économiques à la crise

Les aides des pouvoirs publics dans le cadre de la crise du Coronavirus Covid 19 masquent temporairement les difficultés dans lesquelles les entreprises risquent de se trouver dans quelques mois. Il leur faut donc réagir vite pour adapter leur structure de coûts voire transformer leur modèle économique. Le droit offre des solutions pour renégocier dès maintenant ses engagements.

Crise du Coronavirus Covid 19 : les aides ne seront pas suffisantes pour empêcher les faillites

Pour tenter d’endiguer les conséquences économiques des mesures prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, les pouvoirs publics ont légiféré par diverses ordonnances et décrets d’application tendant à la préservation de l’activité des entreprises.

Sans prétention à l’exhaustivité, on citera notamment les mesures de report des charges sociales et fiscales (pour les impôts directs), la mise en place des prêts BPI (Rebond, Atout), les Prêts Garantis par l’Etat (PGE), la simplification et le renforcement du dispositif de chômage partiel et, pour les TPE, le report du paiement des loyers et des factures d’eau et d’énergie, les aides du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie, etc.

Cela étant, un rattrapage des dépenses qui n’ont pas été réalisées pendant la période de confinement est très peu vraisemblable et tous les indicateurs montrent que la France connaîtra une récession en 2020, cette perspective étant pour le moins répulsive pour la consommation.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics anticipent une très forte augmentation du nombre defaillites, reconnaissant ainsi que les mesures mises en place ne seront pas suffisantes pour préserver de très nombreuses entreprises.

Pour autant, ce qui apparaît ainsi comme une fatalité au niveau macro-économique peut parfaitement être évité au niveau de chaque entreprise pour peu que le dirigeant prenne en temps voulu des mesures de réduction de sa structure de charges voire de transformation de son modèle économique en profondeur. Dans le second cas, la fatalité ambiante peut devenir une véritable opportunité.

Des cadres légaux pour adapter les modèles économiques

Bien sûr, la réduction des charges comme la transformation économique impliquent des coûts, qu’il s’agisse de celui des licenciements, des indemnités contractuelles de résiliation (notamment pour les baux), des pénalités de sortie de certains contrats clients, etc. ; ou des investissements ou charges supplémentaires (ex : achat de matériels ou de logiciels permettant d’améliorer les méthodes de production, marketing, communication, etc.). Et donc, un besoin en trésorerie qui, dans le contexte qui nous occupe, une fois consommée celle procédant des prêts BPI ou du PGE, fera vraisemblablement défaut pour mener à bien l’adaptation indispensable à la survie de l’entreprise.

Le coût de la rupture des contrats est la conséquence directe du principe du consensualisme en droit français et son corollaire qui veut que le contrat constitue la loi des parties et que son inexécution comme sa résiliation sont sanctionnées économiquement. En droit commun, la seule alternative à une renégociation des conditions d’exécution ou à une rupture amiable est de saisir le juge. Mais le temps judiciaire est long et, le plus souvent, incompatible avec le temps économique. Il est donc inadapté aux contraintes financières de l’entreprise.

C’est précisément pour cela que, dans un objectif de préservation des entreprises et des emplois qui y sont attachés, le législateur a intégré quelques éléments d’assouplissement au principe de l’intangibilité des contrats en aménageant, dans le cadre de règles dérogatoires au droit commun, leur inexécution ou leur résiliation.

Ces règles dérogatoires sont celles du Droit des Entreprises en Difficulté contenues dans la Loi de Sauvegarde des Entreprises intégrée au Livre VI (articles L610-1 à L696-1) du Code de commerce.

Les objectifs explicites de cette Loi d’exception sont la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. Ces objectifs sont exprimés dans leur ordre de priorité, ce qui n’exclut toutefois pas une recherche d’équilibre entre les intérêts de l’entreprise et ceux de ses co-contractants ou créanciers. Cela étant, plus la situation de l’entreprise relève de l’urgence, plus la contrainte est forte à l’égard de ces derniers.

La Loi propose des cadres spéciaux de négociation de tous les contrats conclus par l’entreprise par l’ouverture de procédures de mandat ad hoc, de conciliation de sauvegarde ou de redressement judiciaire, notamment.

Renégociation des contrats en Mandat ad hoc ou en Conciliation

Les deux premières (mandat ad hoc et conciliation) sont, avant tout, des cadres de négociation strictement confidentiels avec certains co-contractants/créanciers ou classes de créanciers (le plus souvent des banquiers, crédit-bailleurs, loueurs financiers ou des bailleurs). Ces derniers auront été spécialement sélectionnés parce que les prévisions d’exploitation et de trésorerie de l’entreprise montrent qu’un accord – portant sur des délais ou des remises des impayés et/ou un réaménagement voire une rupture amiable du contrat – permettra à l’entreprise de sortir d’une situation financière compromise.

Le consensualisme y reste la règle. En d’autres termes, les co-contractants ne peuvent être forcés à accepter des efforts. Mais les usages bien établis en la matière commandent que les co-contractants participants acceptent de suspendre les poursuites relatives aux impayés pour la durée des discussions. Cette durée est fixée soit par l’ordonnance qui ouvre la procédure, soit par la Loi. En pratique, elle est le plus souvent de cinq à six mois à l’issue desquels un accord est signé entre toutes les parties.

L’usage est que l’entreprise ne soit pas en état de cessation des paiements pour être éligible au mandat ad hoc. La Loi prévoit qu’elle ne doit pas l’être ou l’être depuis moins de quarante-cinq jours pour l’ouverture d’une conciliation. La situation financière de l’entreprise est donc le plus souvent plus obérée lorsqu’elle recherche une solution dans le cadre d’une conciliation que dans celui d’un mandat ad hoc. Aussi, le juge qui a ouvert la conciliation peut-il imposer des contraintes aux créanciers réfractaires à toute solution. A noter que ce pouvoir a été renforcé dans le contexte particulier du Covid-19 pour renforcer l’efficacité de la procédure.

Un cadre plus contraignant avec la sauvegarde ou le redressement judiciaire

Les deux autres (sauvegarde et redressement judiciaire) sont des cadres de négociation contrainte avec l’ensemble des créanciers et co-contractants. Elles doivent être envisagées lorsque les prévisions comptables et financières démontrent qu’un accord avec certains types de créanciers ne suffit pas pour permettre à l’entreprise d’adapter son modèle économique. Dans les deux cas, la procédure est publique. Ses effets les plus violents que sont le gel du passif et l’arrêt des actions pour obtenir un paiement s’imposent donc, sauf cas particuliers , à tous les créanciers pendant une période dite d’observation d’une durée de six à dix-huit mois, selon les délais qui sont nécessaires pour permettre à l’entreprise de mettre en œuvre sa restructuration. Le consensualisme s’efface ainsi au profit de la préservation de l’entreprise.

Pour faciliter la restructuration, l’administrateur judiciaire, avec le concours du juge-commissaire, a le pouvoir de résilier les contrats, les indemnités contractuelles étant gelées au même titre que les impayés antérieurs à l’ouverture de la procédure. Cela permet donc, par exemple, de fermer un point de vente déficitaire sans avoir à exposer à court terme les indemnités de résiliation ou d’avoir un levier pour renégocier les termes du bail.

Au même titre que les créances antérieures à l’ouverture de la procédure, les indemnités de résiliation seront payées selon des modalités fixées par un plan d’apurement du passif qui sera homologué par le Tribunal à l’issue de la période d’observation. Ce plan peut notamment prévoir un étalement du passif pour un maximum de 10 ans. En d’autres termes, l’entreprise dispose d’un crédit légal de 10 ans pour rembourser ses créanciers.

Également, lorsqu’en dépit du gel du passif, la trésorerie de l’entreprise est insuffisante pour payer le coût des licenciements en plus du financement de la poursuite d’activité, l’AGS peut en faire l’avance à l’entreprise. Contrairement aux autres créances, la loi prévoit que certaines de ces avances soient remboursées dès l’homologation du plan. Mais, en pratique, des délais de 12 à 36 mois sont, le plus souvent, consentis par l’AGS.

De manière générale, les quelques différences entre sauvegarde et redressement judiciaireprocèdent de ce que l’entreprise n’est pas éligible à la première si elle est en état de cessation des paiements, et qu’elle n’est éligible à la seconde que si cet état de cessation des paiements est avéré. La situation financière est donc plus obérée dans le cas du redressement judiciaire que dans celui de la sauvegarde. C’est notamment ce qui explique que, contrairement à la sauvegardedans le cadre de laquelle les licenciements obéissent aux règles et, donc, aux délais de droit commun du travail, en redressement judiciaire, les délais sont raccourcis. Il s’ensuit que les effets de la restructuration sociale sur le compte de résultat et la trésorerie de l’entreprise sont plus rapides et donc plus efficaces en redressement judiciaire.

Rapidement renégocier ses contrats pour traverser la crise

Au regard de ce qui précède, contrairement à l’image négative que le grand public s’en fait, le Droit des Entreprises en Difficulté doit être regardé au premier chef comme un outil pour faciliter l’adaptation ou la transformation du modèle économique de l’entreprise. Bien sûr, son utilisation suppose d’avoir une vision précise et réaliste de la situation bilantielle et prévisionnelle de l’entreprise.  L’anticipation permet d’utiliser ces procédures comme de véritables outils stratégiques pour gérer les enjeux de la crise du coronavirus Covid 19 plutôt que de les subir. On est alors bien loin du Droit de la Faillite perçu comme infâmant par le grand public.

Enfin, ainsi que cela a été succinctement évoqué plus haut, une des notions pivot du Droit des Entreprises en Difficulté est l’état de cessation des paiements. La notion est, le plus souvent, mal appréhendée, de sorte qu’elle fait l’objet d’un autre article, qui sera prochainement en ligne.